Là où le grand public s’est étouffé en apprenant les techniques commerciales de certains prestataires de fournitures standardisées, lors de l’émission Capital sur M6, les praticiens de la commande publique croyaient rêver ! Si les fournisseurs ont des techniques bien aiguisées pour parvenir à remporter les marchés publics des différents pouvoirs adjudicateurs, les praticiens du droit de la commande publique sont loin d’être démunis d’outils pour parvenir – autant que faire se peut – à « limiter la casse » : Détail Quantitatif Estimatif (DQE) masqué, critères de jugement des offres optimisés, négociation orale…
Le Code de la commande publique est loin d’être dépourvu de mécanismes permettant de garantir une procédure de mise en concurrence efficiente, à condition de le manier avec expertise et stratégie.
200 milliards d’euros par an
Et c’est là tout le cœur du sujet… Face à l’enjeu économique, stratégique et politique que représente la commande publique – 200 milliards d’euros par an – les médias ne peuvent laisser croire que les acheteurs publics ne font pas leur maximum pour garantir la bonne gestion des deniers publics et respecter les principes fondamentaux de la commande publique. À savoir : l’égalité de traitement entre les candidats, la transparence des procédures et la liberté d’accès à la commande publique.
Pour autant, la trajectoire politique donnée à la commande publique est proche du néant. Chaque acheteur achète ce dont il a besoin mais dans quel objectif ? Peut-on considérer la commande publique comme une politique publique ?
Un instrument économique
Nul n’ignore que le droit français de la commande publique est l’émanation directe du droit de l’Union européenne, et notamment des directives de 2014 sur la passation des contrats de la commande publique.
Néanmoins, la commande publique ne peut se réduire à une règlementation, elle ne peut être réduite à sa seule acception juridique. Elle est aussi, et avant tout, un instrument économique.
En effet, si le Code de la commande publique existe, c’est pour venir encadrer, réglementer l’échange qui s’opère entre d’un côté, une personne publique – État, collectivités territoriales, hôpitaux – et de l’autre, une entreprise privée… et non pas l’inverse !
La commande publique préexiste au Code puisque son fondement même demeure l’acte d’achat, soit la nécessité pour l’administration de se procurer l’expertise d’une société privée pour poursuivre son fonctionnement. C’est cette nécessité que le Code va qualifier de besoin et cette expertise qui va se traduire en fournitures, services ou travaux. Par conséquent, la réglementation ne fixe que les règles d’un jeu : celui de l’achat.
Un levier politique ?
Une fois que l’on a dit que la commande publique était un instrument économique, nous pouvons légitimement nous interroger – comme pour tout instrument économique étatique – si elle peut être un levier politique, voire, si elle doit être un levier politique ?
Il est évident que ces dernières années, la commande publique n’a jamais été conçue comme un levier politique, comme une politique publique, sauf dans le cadre d’une politique plus large de réduction des émissions de gaz à effet de serre, notamment suite à la signature des accords de Paris. Dans un tel contexte, il serait malhonnête de dire que la commande publique n’a pas été intégrée à une stratégie plus large de lutte contre le réchauffement climatique, et donc de transition écologique : la création du SPASER en est un parfait exemple.
Pour autant, là encore, la commande publique n’a pas été envisagée comme un levier stratégique en tant que tel mais plutôt comme la déclinaison d’une politique publique plus globale.
Changement de paradigme
Depuis le 5 mars dernier, la commission d’enquête sénatoriale sur les coûts et les modalités effectifs de la commande publique et la mesure de leur effet d’entraînement sur l’économie française, démontre que l’on est peut-être en train de changer de paradigme. Il est évident que ce changement de paradigme répond à un contexte de réarmement de la France face à de nouvelles menaces, et à une réflexion autour d’une certaine défense européenne ou Europe de la défense.
Une question demeure : la commande publique va-t-elle prendre un tournant stratégique dans un contexte de tensions géopolitiques et économiques particulièrement complexe ?
Enzo Merli, Responsable de la commande publique et des achats durables de Gignac-la-Nerthe (Bouches-du-Rhône), Chargé d’enseignement à la Faculté de droit et de science politique d’Aix-Marseille Université